La relation de l’homme à l’Univers ne cesse de se réinventer. Aujourd’hui encore, alors que beaucoup parlent de conquérir l’espace, certains artistes nous invitent à nous y reconnecter. Ils nous amènent à faire, ici bas, l’expérience de l’infini sacré.
Maintenir l’harmonie cosmique
L’homme contemple les cieux depuis toujours. Pendant des millénaires, les correspondances entre Ciel, Terre et harmonie cosmique façonnent la relation magique qu’il entretient à l’Univers.
Dans l’Antiquité, le cosmos est sacré ; les astres, des êtres divins. Les dieux solaires se nomment Rê en Egypte, Shamash en Mésopotamie, Sol chez les romains… L’art les représente sous forme de disque solaire, auréolé de rayons ou dans un char traversant le ciel (un thème récurrent dans de nombreuses mythologies indo-européennes). La lune, se retrouve, pour sa part, souvent associée aux grandes déesses de la fécondité (pleine lune), de la mort (lune noire) ou de la régénération (lune naissante). Les plus connues demeurent Diane chez les romains, Hécate, Séléné et Artémis dans la mythologie grecque…
L’étude du Ciel se voit, en conséquence, confiée à la caste sacerdotale. Elle sert avant tout des intérêts religieux divinatoires ou pratiques (afin, par exemple, de fixer l’heure des rituels et les dates de cérémonies). Pour les cultures traditionnelles, comme l’explique Mircea Eliade dans Cosmologie et alchimie babyloniennes, « seul ce qui est sacré est ‘’réel’’. L’espace consacré (temple, cité) est seul ‘’réel’’ parce que l’Univers tout entier s’y concentre. Le seul temps ‘’réel’’ est le temps liturgique, consacré, et l’homme ne participe de ce temps absolu qu’en étant partie prenante lors de fêtes ou de rituels ».
Dès le néolithique préhistorique, l’homme bâtit des sites consacrés afin de vivre en harmonie avec le Ciel (les cercles mégalithiques tels Stonehenge en Angleterre, Karahunj en Arménie…). Dans la plupart des traditions, la construction part du cosmos. Cette architecture céleste s’aligne en général selon l’axe du soleil ou de la lune (Abou Simbel ou Karnak en Egypte, le Machu Picchu au Pérou…), parfois, en fonction des étoiles (Moai de l’île de Pâques). Le temple-observatoire officie tel un lieu d’études et de culte. On y accomplit des rituels pour honorer les astres, selon leurs cycles (solstices et équinoxes solaires, éclipses solaires et lunaires…). Ces temples-observatoires, garants de l’ordre cosmique, s’élèvent en général vers le cosmos afin que celui-ci puisse sacraliser la Terre en retour. Le fidèle aussi y accomplit rituellement son ascension, pour s’unir au Tout. Les mésopotamiens nomment ces montagnes cosmiques qui résument symboliquement tout l’Univers, ‘’maisons lien du Ciel et de la Terre’’ (comme la très célèbre ziggurat de Babylone) ; les mayas, pyramides du soleil et de la lune (Teotihuacan). Les romains introduisent, quant à eux, une architecture sphérique qui demeure, au fil des siècles, un modèle pour ceux qui cherchent à ne faire qu’un avec le ciel (le panthéon d’Hadrien). Un peu plus tard dans l’Histoire, on retrouve trace de constructions qui témoignent de cette même quête d’union des contraires (Borobodur en Indonésie en l’an 800, Angkor Wat au Cambodge au 12ème siècle…).
Aujourd’hui encore, elle inspire de nombreux artistes. Depuis les années 70, de célèbres plasticiens comme Nancy Holt (Sun tunnels), Robert Morris (L’observatoire dans la province néerlandaise du Flevoland), Michelle Stuart (Stone alignments/Solstice Cairns), Ilya et Emilia Kabakov (l’Etrange cité), Wofgang Laib (Ziggurat) ouAnish Kapoor (Sky mirror) développent des œuvres autour du thème du temple-observatoire, afin de retisser un lien avec le Ciel. Le projet monumental le plus célèbre demeure le Roden crater de James Turrell. Construit à partir de 1974 par l’artiste au sein d’un cratère de volcan, il accueille 21 chambres à ciel ouvert (Skyspaces) afin de pouvoir éprouver et célébrer la lumière céleste à chaque moment clef de l’année.
Vivre, sous l’influence des astres
Jusqu’au siècle des Lumières, astronomie et astrologie ne sont pas dissociées. L’étude des astres sert la prédiction des cycles et le calcul du temps autant que la divination. Tous vivent, quotidiennement, sous l’influence des astres, les rois et les seigneurs aussi bien que le peuple.
Dès le 7ème siècle avant J.-C. on reconnait au zodiaque une influence majeure sur la vie de l’homme. Au 2ème siècle, Ptolémée synthétise le savoir antique dans son célèbre traité, le Tetrabiblos. L’astronome grec instaure le zodiaque que nous connaissons encore aujourd’hui. Jusqu’à la fin du 16ème siècle, son livre, référence de tous les astrologues, participe à la démocratisation de cette science. De l’Antiquité à la Renaissance, la diffusion de textes classiques à succès comme Les métamorphoses d’Ovide ou Les Astronomiques de Marcus Manilius (qui inaugure un genre littéraire poétique sur la transformation d’hommes en étoiles immortelles) alimente, de même, la foi dans les astres. Leurs aventures se retrouvent souvent dépeintes dans des fresques et des enluminures alors, qu’au 15ème siècle, des cartes du ciel zodiacal décorent les plafonds de somptueux palais (Le Venosino, Battista Fontana). Au Moyen Age et à la Renaissance, une abondante littérature, atteste de l’intérêt également porté aux livres d’astrologie divinatoire (Losbücher) et de phénomènes surnaturels, signes de présages célestes (Le livre des Miracles).
Les astronomes devins, tenus en haute estime, conseillent les rois. Ils consultent ces interprètes du Ciel pour gouverner, en accomplissant la divine volonté. Le peuple voue, quant à lui, un culte aux astres. Il les invoque pour leurs bienfaits ou protection même si, dès le 1er siècle, l’Eglise catholique condamne, plus ou moins violemment, l’usage de l’astrologie divinatoire (contraire selon elle, au libre arbitre). Les savants, les philosophes et les Pères de l’Eglise ne remettent, par contre, jamais en question les influences des astres sur le vivant. L’astrologie, dite populaire, guide l’homme dans tous ses gestes quotidiens. Il l’utilise pour se soigner (la médecine astrologique), cultiver la terre, élever les animaux, prédire le temps et les cycles…
Les astrologues s’appuient sur une vision magique du Monde qu’ils considèrent comme un tout interdépendant. L’art participe à la diffusion de leurs connaissances. Au Moyen-Age et à la Renaissance, des enluminures et des gravures illustrent des livres d’heures (Les très riches heures du duc de Berry, Les grandes heures de Rohan…) et des traités sur les plantes. Ces ouvrages, qui foisonnent au 16ème siècle, enseignent l’agriculture et les soins de la santé, en lien avec les astres. On y retrouve souvent la figure du dénommé, homme zodiacal, mettant en relief les correspondances entre le corps et les planètes. De grandes fresques et tapisseries de travaux agricoles dressent, de même, les corrélations entre le Ciel et la Terre. Mais, au 17ème siècle, la pensée magique cède peu à peu la place à celle, rationaliste, de Descartes. Les artistes, dès lors, coupent l’homme et la Terre du cosmos, même si les traités alchimiques développent encore un langage visuel hermétique, initiant à ses mystères (Le Mutus Liber d’Altus, l’Opus medico-chymicum de Mylius, le Collectanea chymica de Love Morley et Muykens, l’Utriusque Cosmi de Fludd…). Au 19ème siècle, seuls quelques artistes romantiques et symbolistes comme William Blake (Nuit, The ghost of a flea), Odilon Redon (Le char d’Apollon) ou Witold Pruszkowski (L’étoile filante), évoquent parfois encore le Ciel, de cette manière.
Jusqu’au 20ème siècle, la sagesse astrologique continue néanmoins de se transmettre, grâce aux almanachs (des ouvrages-calendriers très populaires qui, pour chaque jour de l’année, indiquent la phase de la lune de même que de nombreuses informations pratiques et religieuses). Au début du 20ème siècle, l’anthroposophe Rudolf Steiner réintroduit une approche plus spiritualiste du travail de la terre. La biodynamie est aujourd’hui reconnue comme un des courants fondateurs de l’agriculture biologique. L’Occident redécouvre, de même, les vertus de médecines millénaires (indienne et chinoise) qui n’ont, quant à elles, jamais cessé de relier l’homme au Ciel.
Conquérir l’espace
A partir du 17ème siècle, les scientifiques désacralisent le cosmos. La relation de l’homme à l’infini s’en trouve profondément modifiée. L’Univers, qui ne se définit plus que comme physique et mécanique, devient pour lui un simple espace de plus, à conquérir. L’art alimente alors tous les fantasmes. Le voyage sur la lune inspire de nombreux récits d’aventures (L’homme dans la lune de Francis Godwin, Histoire comique des Etats et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac…). A la fin du 19ème siècle, Jules Verne en offre une représentation moins rationnelle et donne naissance à un genre : la science-fiction. Une abondante production d’images de vulgarisation scientifique participe, dès lors, à la construction d’un imaginaire, collectif et populaire, de la conquête spatiale. Lucien Rudaux et Chesley Bonestell demeurent les illustrateurs les plus célèbres de cet art astronomique. Georges Méliès, en 1902, réalise le premier film du genre (Voyage dans la lune), suivi, en 1929, par Fritz Lang (Femme dans la lune).
En juillet 69, un astronaute américain marche pour la première fois sur l’astre. La retransmission mondiale télévisée de la mission Apollo XI marque un tournant de l’Histoire. Ces images transforment, une fois encore, la relation de l’homme au Ciel. Elles amènent chacun à voir la matérialité de l’espace et à croire en une vie possible dans d’autres mondes. Mais, la lune ne fait plus rêver les artistes, comme en témoignent des projets de Robert Smithson (Lake edge Crescent) ou d’Ilya Kabakov (L’homme qui s’est envolé dans l’espace). Les cinéastes repartent alors à la conquête d’un Univers toujours plus vaste. Il se présente, en général, comme un lieu peuplé d’autres espèces, hostiles à l’homme, qu’il se doit d’exterminer ou de soumettre (Alien, Star wars, Star Trek, Prometheus…). Un espace, aride et sauvage, auquel il doit se confronter pour assurer sa survie (Seul sur Mars, Gravity…). Notre Terre se voyant aujourd’hui menacée, la réalité rejoint de nouveau la fiction. Il ne s’agit plus tant de rêver que de se préparer. Alors que la NASA se voit dotée d’un budget conséquent pour reconquérir la lune avant d’envoyer, en 2030, des astronautes sur la planète Mars, de puissants hommes d’affaires comme Elon Musk développent déjà des fusées spatiales promettant, aux plus aisés, de pouvoir, sous peu, la coloniser.
S’unir à l’infini
Certains, plus humblement, s’émerveillent devant la beauté et l’harmonie de l’Univers. Depuis quelques années, des scientifiques qui l’observent émettent même l’hypothèse d’un principe créateur-animateur et de lois universelles, garantes de son ordre. Ils démontrent qu’il existe bien une symbiose entre l’homme et le cosmos, la presque totalité des éléments constituant le vivant provenant des astres célestes. Nous sommes de la poussière d’étoiles, comme nous le suggèrent des œuvres contemporaines de Duane Michals (La condition humaine), Claudio Parmiggiani (Physiogonomie céleste pour Adalgisa), de Jean Baptiste Huynh (Reflection) ou de Roselyne de Thelin (Homos Luminosos).
Pourtant, tout laisse à croire que l’homme moderne a perdu la connexion avec le Ciel, d’autant plus que les lumières artificielles des villes ne lui permettent plus de le contempler. Des artistes contemporains semblent pourtant encore entendre la musique des sphères ; l’harmonie qui, selon Pythagore, régit tout l’Univers. Médiateurs entre l’ici-bas et l’au-delà, ils réinventent l’espace à partir de leur imaginaire, pour nous faire éprouver ce qui, éternellement, nous y relie. Par un travail sur la perception, souvent en immergeant le spectateur au cœur de monumentales installations, ils nous amènent à revivre une union intuitive et magique avec l’infini. On citera, par exemple, des œuvres de Yayoi Kusama (Infinity Mirror room), de Leo Villareal (Escape Vellocity), d’Olafur Eliason (Contact), de Tomas Saraceno (A thermodynamic imaginary), de Luciano Fontana (Ambiance spatiale) et du collectif UVA (Musica Universalis). Ou encore, les projets de colonnes ou de cités reliées au Ciel de Lee Bull (Cité solaire), d’Ilya et Emilia Kabakov (l’Etrange cité), de Jaume Plensa (Even Sethia), de Brâncusi (Colonne de l’infini) ou d’Antony Gormley (Chord).
Alors, comme le philosophe Gaston Bachelard le rappelle dans Poétique de l’espace, le spectateur redécouvre que « l’immensité est à l’intérieur de nous mêmes ». Plongé en un lieu qui lui fait perdre ses repères spatio-temporels, il fait l’expérience d’une tout autre dimension. Seul, tels les sages et les poètes dans les grands espaces naturels ou les héros modernes au cœur du cosmos, il s’unit, dans le silence, avec l’infini, ce qu’illustrent des films récents comme The Fountain de Darren Aronofsky ou Interstellar de Christopher Nolan. Dès lors, il se sait un et à jamais, avec lui.