L’alchimiste opère selon la loi du « solve et coagula ». Comme de nombreux artistes contemporains, il œuvre à dissoudre les corps et fixer l’esprit.

 

Solve et coagula

 

L’alchimie d’Hermès n’est pas théorique, elle s’opère. Celui qui la pratique cherche à extraire des quatre éléments purifiés la quinte essence : le 5ème élément que le philosophe Aristote nomme l’éther. Pour y parvenir, il œuvre sans répit en dissolvant la matière et fixant l’esprit. C’est pourquoi les deux piliers de l’œuvre se nomment solve et coagula. Dans ce processus qui s’opère par le feu, la première matière, dense et grossière, change continuellement d’état. Elle se dilue pour que le subtil se sépare de l’épais ; elle s’évapore pour retomber, à chaque opération, un peu plus sublimée par sa rencontre avec l’esprit. Le disciple d’Hermès cherche à fixer cet agent tiers, sans qui, d’après lui, rien ne peut s’accomplir. Ce faisant, il œuvre également à sa propre transformation. C’est là le secret du Grand œuvre, de l’alchimie intérieure que le sceau de Salomon résume à lui seul. Cette image témoigne du jeu incessant qui s’opère entre la matière et l’esprit, jusqu’à ce que l’homme retrouve sa forme originelle. Les deux serpents qui se dévorent incarnent la rota, le cycle des dissolutions et des fixations. Le serpent ailé manifeste l’esprit universel qui se fixe dans la matière. Le serpent désigne la matière parvenue à un nouvel état qui se dissout et s’élève jusqu’au volatil pour se purifier un peu plus. Ainsi, ce qui est en bas fusionne lentement par le feu avec ce qui est en haut. Le principe fixe, le soufre, s’unit au mercure, principe volatil. L’étoile à six branches atteste de cette union des contraires comme de la manifestation, en son centre, du sel philosophique, le 5ème élément. Elle symbolise l’homme parfait.                 

Dissoudre les corps  

L’iconographie alchimique utilise de nombreux langages symboliques pour décrire par l’image le processus du Grand œuvre. Lorsqu’elle prend pour modèle la figure humaine, elle n’hésite pas à représenter l’homme se noyant ou se consumant dans les flammes pour expliquer les phases par lesquelles celui qui opère doit, comme sa matière, en passer. Les emblèmes du célèbre traité de Michael Maier, l’Atalante Fugitive, illustrent, de façon très explicite, ce propos. Le héros, au fil des épreuves, y change de forme jusqu’à renaître, transformé et rajeuni.

 

Plusieurs sculpteurs contemporains abordent le thème de la métamorphose de l’homme sous un angle alchimique. Depuis les années 60, le sculpteur Antony Gormley ne cesse de présenter, à sa manière, la matière opérant avec l’esprit. Tous ses sujets semblent incarner l’homme à différentes phases de l’œuvre. Métal dense qui s’oxyde et commence à se dissoudre ; corps dont les briques ou les cellules se morcellent et font place, au fil des sculptures, à davantage de vide intérieur ; forme épurée prise dans un mouvement perpétuel jusqu’à n’être plus, au final, que quintessence : matière éthérée, une avec l’invisible, tout en demeurant présence d’une figure humaine incarnée (Domain field en 2003, Quantum cloud en 2000, Blind Light en 2007…).

Dans un registre très réaliste, Berlinde de Bruyckere nous présente au milieu des années 2000 des corps de cire qui se délitent alors que Marc Quinn, après avoir tenté de s’extraire de la chair dans sa série No visible means of escape expose dans les années 90 une série d’hommes dissous dont il ne reste que quelques morceaux liquéfiés. Il incarne ainsi le travail du Mercure alchimique – l’argent liquide – qui ramène le corps à son état premier avant de le recomposer, à partir des éléments les plus purs. En 1997, Thomas Schütte avec sa série Grosse Geister paraît lui aussi s’inspirer de cette idée.

D’autres artistes privilégient un angle plus onirique. On citera par exemple les sculptures en acier de Tomohiro Inaba, qui témoignent du processus de dissolution dans l’élévation ; les installations à base de tissus de la plasticienne Lin Tianmiao dans lesquelles le corps ne cesse de se dissoudre (Non Zero en 2004 ou Mothers n°5 en 2008) ou bien encore les vidéos de Matt Pyke (Supreme believers, transfiguration).

Fixer l’esprit

 

Si l’on peut assez facilement se représenter le principe de dissolution des corps, il devient beaucoup plus complexe de comprendre à quoi l’autre pilier de l’œuvre, coagula, fait allusion, car aucun alchimiste n’a jamais révélé la nature véritable du feu secret. Limojon de St Didier écrit à son sujet dans Le triomphe hermétique : « celui qui ne le comprendra pas doit s’arrêter ici et prier Dieu pour qu’il l’éclaire, car la connaissance de ce grand secret est plutôt un don du Ciel qu’une lumière acquise par la force du raisonnement ». C’est pourquoi l’on considère l’Art royal autant comme une science qu’une mystique. Celui qui le pratique connaît sa limite. Tout en veillant à maintenir le feu nécessaire à ses opérations, il en appelle et s’en remet à l’esprit pour l’opérer. Ce feu spirituel est force et sagesse ; une énergie qui consume et guérit. Alors l’homme renaît de ses cendres, corps-esprit. Certains artistes tentent de matérialiser cette idée en œuvrant par le feu (Yves Klein – Peintures de feu), par le vide en mouvement (Antony Gormley) ou par le passage symbolique à l’or (Matthew Barney – The river of fundament). D’autres le traduisent dans leurs œuvres par la lumière. On mentionnera par exemple, la série des sculptures holographiques Homos Luminosos de Roselyne de Thelin qui nous place face à des êtres de matière-lumière mouvante. Ou encore les photos de Christopher Bucklow, qu’il a commencé à réaliser avec un appareil sténopé permettant d’observer et de fixer la lumière sans se brûler, après avoir vécu une expérience mystique au début des années 2000.