L’alchimiste œuvre avec les éléments de la nature. Son langage opératif qui puise dans la symbolique du feu et de l’eau inspire, aujourd’hui encore, de nombreux artistes.

 

Philosopher par le feu

 

L’alchimie opérative est incontestablement un Art du feu mais la nature de ce feu demeure complexe car, pour le disciple d’Hermès, elle revêt de multiples aspects. La plupart des grands traités font référence à trois genres de feu. Le premier est élémentaire ; c’est le combustible employé pour chauffer le vase dans l’athanor (le fourneau alchimique). Celui qui pratique l’Art doit apprendre à maîtriser les degrés de chaleur nécessaires au bon déroulement de chaque opération. Le deuxième est le feu secret, dénommé aussi le sel philosophique. Tout alchimiste le recherche mais aucun n’a jamais vraiment révélé sa nature. Force de vie, présente au cœur de la matière que le philosophe opère, il est l’agent qui anime sa prima materia. Le troisième se nomme spiritus mundi. C’est un feu cosmique que l’hermétisme chrétien associera à l’Esprit Saint. Sans lui, rien ne peut s’accomplir.

Le langage hermétique doit toujours pouvoir se comprendre dans des sens multiples afin de rester voilé pour les non-initiés. C’est pourquoi les alchimistes utilisent également le mot feu pour désigner certaines opérations ou un état particulier de leur matière. Selon le cas, ce feu secret peut même se présenter sous forme d’eau. Ces deux éléments, considérés comme opposés, sont pour l’alchimiste interchangeables puisqu’ils ne manifestent, au final, que la présence d’une seule et même réalité. Le feu secret abrite un esprit qui est présence intérieure du spiritus mundi. Pour cette raison, la salamandre, un animal qui selon la légende « vit dans le feu, produit le feu et se nourrit de feu » symbolise l’esprit du feu secret des sages.

Se dissoudre par l’eau

 

L’Art s’opère à partir de trois éléments : deux principes opposés, le mercure et le souffre, qui grâce à un agent tiers, le sel, parviennent à fusionner. Les alchimistes considèrent le mercure comme la mère de tous les métaux et l’associent à l’eau primitive qui leur donne naissance et peut les diluer. Son symbole le plus connu demeure la fontaine mercurielle. Cette source d’eau pure et claire possède le pouvoir de purifier les corps et de les régénérer. Dans le processus du Grand œuvre, elle signe l’œuvre au blanc. Le sage s’y plonge afin que seul ce qui est pur et subtil en ressorte. Régénéré, se sentant tel un nouveau-né, il peut alors se préparer à l’épreuve finale. Le Christianisme fait référence à cette même symbolique. Celui qui se baigne dans l’eau sacrée célèbre son premier baptême. Purifié de ses péchés, il reçoit la force de l’Esprit-Saint qui se manifeste en général sous les traits d’une colombe ou de flammes.

De nombreuses images alchimiques témoignent de cette scène comme du pouvoir de l’eau mercurielle. Aujourd’hui encore, certains artistes illustrent cette symbolique. On pense bien entendu au travail de Bill Viola dans les années 2000, plus particulièrement aux œuvres de sa série Transfigurations, dans lesquelles l’eau reconfigure à la fois la substance et l’essence de ses sujets. Ou bien encore à Ascension, qui présente un homme en croix plongeant dans l’eau et s’y enfonçant jusqu’à disparaître du cadre avant de se reformer, régénéré. A la même époque, le vidéaste Chris Cunningham illustre lui aussi dans Flex la lutte des corps qui se dissolvent et se séparent dans l’eau qui amène au chaos. Plus récemment, certains artistes renouvellent l’approche, l’eau devenant le sujet œuvrant dans le corps. C’est le cas de jeunes photographes comme Matt Wisniewski (Fluid Dynamic) et Laurence Demaison (Mercure, Les sources, Nébuleuses, Les eautres…) ou bien encore du très célèbre Nick Knight (Sonomorphic Mirror) lorsqu’il s’associe avec la styliste inspirée par l’alchimie, Iris van Herpen.

Renaître par le feu 

 

Si l’eau exprime l’œuvre au blanc, le feu marque l’œuvre au rouge. Dans cette ultime phase, l’homme nouveau-né dans la source mercurielle s’embrase et s’élève. Le feu régénérant amène le corps à un état permanent. Sublimée par le volatil, la matière renait sous forme spirituelle. C’est ce passage que symbolise l’or ou le phénix renaissant de ses cendres. Dans l’évangile de Jean, Jésus l’enseigne également lorsqu’il affirme que « si un homme ne naît d’eau et d’esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». Seul le deuxième baptême, celui du feu, peut permettre d’en revenir à l’unité.

De nombreux artistes contemporains expérimentent cette alchimie des corps. Au début des 60’s, Yves Klein œuvre avec le feu. Il fixe ainsi la transmutation de la matière qui renaît corps immatériel (peintures de feu). Sigmar Polke dans les années 80 (Nachtkappe) ou plus récemment Anselm Kieffer et Mathew Barney (Wattercast) cherchent à fusionner la première matière afin d’en faire jaillir une nouvelle forme ou de l’or. Parfois, la matière renaît simplement de cendres sacrées, comme dans les sculptures de Zhang Huang (Ash Jesus – 2011, Sudden Awakening -2006…) ou se transforme en statues de sel (Jean Pierre Formica, Les gisants – 2009). D’autres fois, l’artiste met en scène sa propre métamorphose qui s’opère par les éléments. Gilbert Gormezano et Pierre Minot en sont un exemple. Entre 1983 et 2001, leurs séries photographiques documentent une quête personnelle qui les amène, par l’eau et le feu, à éprouver lentement Le chaos et la lumière.

D’autres contemporains abordent le thème sous un angle plus symbolique qu’opératif. Le feu ne prend alors pas toujours la forme connue. Il peut se manifester sous l’apparence de lumière, d’eau, d’air ou d’éther. Ainsi, si Bill Viola dans certaines œuvres comme The Crossing en 1996 nous présente un homme consumé par les flammes, il peut tout aussi bien nous montrer son élévation par l’eau, dans Tristan’s Ascension, ou par l’éther, dans Going forth by day. De même, Chris Cunningham dans Flex, matérialise la présence de ce feu qui œuvre dans les ténèbres, par la lumière.