L’alchimiste opère en connaissance. Qu’il la représente par le livre ou par l’arbre, son symbole s’entend toujours à double sens. De célèbres artistes contemporains s’en inspirent encore aujourd’hui dans leurs oeuvres.

 

Œuvrer en connaissance

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Heinrich Khunrath, amphitheâtre de la sagesse éternelle, 17ème siècle : le travail de l’alchimiste : laboratoire et oratoire

La Table d’Emeraude, texte fondateur de la philosophie hermétique, enseigne que « ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour que s’accomplisse le miracle d’une seule chose ». Puisque selon cette pensée, tout est lié, celui qui pratique l’Art d’Hermès considère qu’en observant ce monde, il peut espérer connaître toute la création. Pour y parvenir, il recherche ce que Paracelse désigne les signatures laissées par Dieu dans la nature, ces signes lui permettant de comprendre, selon une loi de correspondance, les processus qui régissent à la fois sa matière, l’homme et l’univers. L’alchimiste pratique la science de la balance ; il lui faut, pour chaque chose, découvrir le lien entre visible et invisible, de même que ce qui l’équilibre. Il œuvre ainsi en connaissance, à partir d’un raisonnement analogique, sa connaissance n’étant donc pas analytique. En parallèle, il prie sans relâche afin que son Dieu l’aide dans son ouvrage. Il accepte de laisser l’intuition spirituelle guider chacun de ses actes. C’est pourquoi sa devise demeure Ora et labora, prie et œuvre. Ainsi, en opérant avec sa matière, il parvient à l’unité de toutes choses.

Le livre, un symbole de la connaissance

 

Il existe de multiples symboles de la connaissance. L’arbre, la perle, la coupe du Graal en sont quelques exemples, même si le livre demeure certainement le plus connu. Dans l’Alchimie, le livre manifeste l’œuvre tout entière car c’est Hermès, à qui cette science sacrée fut révélée, qui reçut le premier la charge de la transcrire. Le livre est donc détenteur d’un message divin, mais l’enseignement ésotérique qu’il détient se présente indéchiffrable, à celui qui souhaite l’aborder sans s’y être préparé. C’est pourquoi, dans l’iconographie alchimique, le livre se présente souvent fermé ; il reste voilé. Sept bandes le scellent parfois, afin de rappeler à l’adepte le nombre d’opérations nécessaires, avant d’espérer pouvoir saisir la Sagesse qu’il révèle. Ouvert, le livre alchimique s’adresse au cœur plus qu’à la raison. A cette fin, son langage fait souvent appel à l’image. L’un des plus célèbres traités alchimiques, le Mutus Liber, se présente d’ailleurs même tel un livre muet, sans aucun texte.

Aujourd’hui, à l’heure des nouveaux médias, certains artistes se réapproprient à nouveau le livre pour sa dimension symbolique. C’est le cas, par exemple, de Marta Minujin avec son panthéon de 700 000 livres ou de Jakob Gautel avec sa tour de Babel, une installation de 15 000 ouvrages. Déchargé de sa fonction originelle, le livre devient également matière à autre chose ; certains le sculptent (Brian Dettmer, James Allen…), d’autres le brûlent (Claudio Parmiggiani, Angela Grauerholz…). Mais l’artiste le plus représentatif de la nature sacrée de ce symbole reste sans conteste Anselm Kieffer. Dès le début de sa carrière, il place le livre au centre de sa recherche artistique et développe, au fil des années, une véritable bibliothèque de livres-sculptures géants sur des thématiques philosophiques variées. Chez lui, le livre se pense comme une œuvre alchimique. Kieffer utilise le plomb – première matière à transmuter – pour fixer le fruit de ses opérations. Posant des questions ouvertes sans jamais y apporter de réponse, il nous amène à les chercher en nous reliant à une toute autre connaissance.

L’arbre, un symbole qui relie les connaissances

 

L’arbre, l’un des thèmes symboliques les plus riches, s’interprète de très nombreuses manières mais il manifeste toujours, quelle que soit la tradition, un axe qui relie la terre et le ciel, comme nous le rappellent certaines oeuvres du sculpteur Henrique Oliveira. Symbole de connaissance, il peut incarner à la fois celle accessible à l’homme dans ce monde et la sagesse du Créateur. Selon le cas, il est alors arbre de la connaissance du bien et du mal ou arbre de vie. Dans l’alchimie, il résume à lui seul toute la métamorphose du Grand œuvre. Il est l’arbre philosophique qu’il convient de méditer pour œuvrer. L’adepte prie « afin que les oiseaux du ciel l’habitent et fécondent ses branches ». Ainsi, il espère pouvoir en extraire la sève ou le fruit : l’élixir de vie. Une quête de l’immortalité que retrace dans un style très onirique le film de Darren Aronovsky, The Fountain.

 

Depuis les années 2000, beaucoup d’artistes abordent le thème de l’arbre dans leur travail. La plupart l’utilisent pour questionner le rapport de l’homme à la nature ; certains optent néanmoins pour un angle symbolique et sacré. On citera à titre d’exemples : les photos ou les vitraux de Doug et Mike Starn qui cherchent à relier visible et invisible en travaillant la couleur et la lumière – source, pour ces auteurs, de la véritable connaissance. La série Tree of life du photographe Lee Jeong-Lok qui tente pour sa part de fixer, par des poses longues, l’essence lumineuse de ses sujets. Les œuvres du plasticien Giuseppe Penone, qui choisit l’arbre comme matière de base à sa création pour sa capacité à incarner le thème de la métamorphose. Ou bien encore, Anselm Kieffer qui, dans sa série dédiée au philosophe Heiddeger, nous présente des arbres fusionnant avec l’univers, matérialisant ainsi, à sa manière, le lien invisible qui relie connaissance humaine et connaissance céleste.