Les formes de l’art sacré ne sont pas le fruit du hasard. Pour amener l’homme à ressentir et comprendre l’inconnaissable, elles s’appuient sur une science ancestrale et sur une mise en pratique rigoureuse des lois de corrélation qui régissent l’univers. Même si elles varient en fonction des périodes et des traditions, certaines composantes demeurent.

 

La divine proportion et la géométrie sacrée

Michael Maier, Atalante Fugitive, 1618 - domaine public
MIchael Maier, Atalante Fugitive, 1618 – domaine public

Qu’il s’agisse d’architecture, de sculpture, de peinture ou de musique, toute œuvre d’art sacré recherche l’harmonie formelle pour entrer en résonance avec l’harmonie du cosmos. L’harmonie recherchée n’est donc pas affaire de goûts ou d’impressions subjectives ; elle signifie équilibre et symétrie des forces en présence. Cette divine proportion se manifeste dans la nature et dans l’homme au travers d’une loi simple que les grands philosophes ont observé et nommé le nombre d’or. Cette formule mathématique qui remonterait aux babyloniens définit le rapport harmonique entre les éléments. Elle se traduit plus simplement par le nombre 1,6180339… Dès l’Antiquité, les artistes vont l’étudier et l’utiliser afin de trouver le juste équilibre dans leurs compositions.

Nombre d'or appliqué à la géométrie sacrée, quelques exemples - SL

De même, quatre symboles élémentaires résument à eux seuls toute la Création. A savoir, le cercle, le carré, la croix et le triangle. Dans la plupart des traditions selon le dictionnaire des symboles, le cercle représente le monde céleste, l’infini ; le carré, le monde terrestre et l’homme ; la croix, l’espace qui relie, à partir du centre, monde terrestre et monde céleste ; le triangle, la manifestation du sacré, la force qui dans le christianisme permet à l’homme, en partant de ce monde, d’en revenir à l’autre. C’est pourquoi, la construction de tout édifice sacré comme la composition d’imagos reposent sur cette géométrie chargée d’une symbolique puissante.

 

L’espace du sacré

L’espace est affaire de sensations, celle de la profondeur. Mais si l’homme perçoit ce monde en trois dimensions, l’art sacré cherche avant tout à l’amener à faire l’expérience de la quatrième. Au fil des siècles, les artistes, pour tenter de la traduire, utilisent diverses techniques comme la géométrie de Platon, la perspective théologique en trompe l’œil de Piero della Francesca ou la couleur chez des contemporains comme Wassily KandiskyPaul Klee et Gupka. On retrouve également souvent l’approche par le vide et le plein car l’harmonie, à l’image de la Création, ne peut se construire que dans un juste rapport de forces entre ces deux éléments. Si le plein incarne généralement la matière limitée du monde sensible, le vide manifeste l’immatériel et l’infini. Il peut témoigner de sa lumière ou de sa dynamique et même devenir, comme dans la peinture chinoise, le principe central (François Cheng). Dans ce cas, il n’est plus ce qui se glisse entre les figures du visible mais l’élément et la force invisible autour duquel tout circule et s’organise. L’architecture sacrée s’appuie sur ce même principe. Par ses proportions démesurées et le vide intérieur qu’elles génèrent, elle place l’homme face à plus grand que lui-même. En son sein, perdant ses repères spatio-temporels, il pénètre dans la vacuité de l’immensité qui l’amène à élever le regard pour le relier à une autre réalité. Ainsi, à partir d’un espace connu à l’image de l’inconnaissable, il peut s’il le désire, se laisser saisir et faire alors l’expérience d’une toute autre dimension.

 

La lumière du sacré

La lumière se présente toujours comme un symbole central de spiritualité, toute divinité depuis l’Antiquité ayant une nature lumineuse et, toute quête du retour à la patrie céleste ne pouvant s’opérer, d’une manière ou d’une autre, sans elle. Dans l’art sacré, elle témoigne en conséquence de la présence de Dieu qui peut se manifester de plusieurs manières. Lumière intérieure agissante, elle révèle ce qui demeure encore dans l’obscurité. Lumière métaphysique, elle plonge l’homme dans une atmosphère immatérielle, jusqu’à le dissoudre et le fondre en elle. Lumière qui englobe et auréole d’une aura un sujet, elle désigne celui qui par essence est de nature sacrée ou celui qui, ayant triomphé des ténèbres, se trouve à présent reliée à elle.

L’artiste ne cherche donc pas un traitement réaliste de la lumière. Il la recréer afin de nous faire interagir avec elle. Pour y parvenir, la peinture d’icônes et des primitifs italiens joue avec la matière ; l’or faisant vibrer la lumière. Les grands peintres du clair-obscur, comme Georges de la Tour ou Rembrandt, cachent sa source. En nous faisant ressentir que ce qui œuvre est inconnaissable, ils nous amènent à nous tourner vers l’intérieur. Les maîtres verriers harmonisent quant à eux les couleurs de leurs vitraux monumentaux, pour baigner les cathédrales dans une atmosphère vibrant au rythme de la lumière. Véritables alchimistes, ils incorporent à l’intérieur de leurs morceaux de verre des poudres métalliques qui agissent comme autant de petits miroirs ou les réalisent exclusivement à partir de métal. Leurs techniques permettent aux couleurs, mêmes superposées, de ne pas se mélanger. Ce qui permet aux fidèles qui les contemplent d’éprouver l’ensemble du spectre énergétique émis par la lumière ; chaque couleur manifestant une vibration particulière (ce que la physique moderne nomme un champ de radiation électromagnétique).

 

Les couleurs du sacré

Si, comme le célèbre théoricien Johannes Itten l’exprime dans L’Art de la couleur, l’intérêt pour la couleur est aujourd’hui essentiellement de nature optique et matérielle, l’art sacré l’utilise avant tout pour sa valeur symbolique ou son pouvoir psychique. En d’autres termes, pour sa capacité à exprimer et nous faire ressentir des réalités spirituelles. La couleur physique possède la faculté de nous relier à une vérité métaphysique : à des archétypes présents dans ce que Jung nomme l’inconscient collectif ; d’autres bien avant lui, l’âme du monde. C’est un langage hermétique que les prêtres pratiquent déjà, selon Héraclite, en Egypte pharaonique.

Dans sa perception symbolique, la couleur accompagne le rite. Au sein de l’Eglise catholique par exemple, elle définit la hiérarchie sacerdotale et aide le fidèle à connaître et s’élever. A cette fin, chaque couleur étant porteuse d’un sens spirituel particulier, l’harmonie de la polychromie repose sur une palette de couleurs déterminée. La Vierge se vête d’un bleu céleste ; le clergé comme le Christ pendant la passion portent du violet ; le rouge, couleur de l’Esprit, officie à la Pentecôte ; le blanc incarne la transfiguration…

L’or, joue un rôle à part. Plus que tout autre, cette couleur-matière témoigne de la lumière comme de la parole du sacré. Dans toutes les traditions depuis l’Antiquité, on l’utilise pour célébrer les dieux et le cosmos car elle incarne l’absolue perfection. Peintures et sculptures à l’effigie de la divinité, objets rituels et lieux de culte en sont imprégnés.

 

Puisque pour le théologien, la lumière est à l’origine de tous les corps, la couleur du sacré doit se penser en relation avec elle. Matière-lumière, la couleur représente un élément clef de l’architecture sacrée. On la retrouve partout, qu’il s’agisse de vitraux, d’émaux, de fresques murales, de peinture de façades ou de statuaire. Le choix d’une couleur dépend de sa pureté et de sa clarté. Au Moyen Age, par exemple, ne sont considérées comme couleurs véritables que celles qui sont franches, saturées et qui produisent de l’éclat. Johann Wolfgang Goethe, dans son Traité des couleurs, au 19ème siècle, s’inscrit dans cette lignée. S’intéressant avant tout au pouvoir psychique de la couleur, il affirme que l’expérience sensitive de cette dernière nait de la rencontre et du dialogue entre l’ombre et la lumière. Ses recherches, en particulier sur l’harmonie des couleurs, influenceront de nombreux artistes en quête de spiritualité, de Turner à Klee.

En limitant ses thèmes et ses moyens, à partir de fondamentaux pratiqués depuis l’aube de l’humanité, l’artiste aspire à se relier à une force sacrée qui animera la forme. Si sa qualité d’être lui permet d’y parvenir, l’oeuvre détiendra le pouvoir d’en faire jaillir la source. Celui qui la contemple et dont l’âme est assoiffée, pourra, à son tour, s’y désaltérer.