L’image, dans l’art sacré, évolue au fil de l’histoire mais son langage demeure toujours de nature symbolique. Même si elle s’interprète dans des sens multiples, seul l’initié peut espérer approcher la Sagesse qu’elle transmet.

 

L’image sacrée

En Occident, l’art sacré chrétien fait souvent référence à l’image ou à l’imago, un terme qui s’applique à la peinture comme à la sculpture. Dans la Bible, si Dieu est Parole, l’Ancien Testament enseigne également que l’homme est créé à l’image de Dieu. L’évangile de Paul précise que le Christ lui-même est image. Pourtant, au fil de son histoire, l’Eglise remet souvent en question la place et la nature de l’image sacrée. A certaines époques, l’imago est utilisée pour ornementer la maison du Seigneur ou enseigner l’histoire Sainte aux analphabètes. Elle est la Bible des pauvres et peut aussi servir à accomplir des rites cultuels et dévotionnels. Les fidèles autant que les membres du clergé font appel à elle. Reconnue par l’Eglise comme un médiateur privilégié entre l’homme et Dieu, on lui accorde une force sacramentelle, au même titre que les reliques des Saints. L’œuvre ne représente pas uniquement le divin, elle manifeste sa présence. A d’autres périodes, au contraire, l’image est mise à l’écart parce que l’Institution craint l’idolâtrie ou considère qu’aucune création humaine ne peut manifester le Créateur.

L’image sacrée au fil de l’histoire

 

Pour le christianisme, comme l’explique Burckhardt dans Principes et méthodes de l’art sacré, l’image divine par excellence, c’est le Christ. Il incarne une voie pour l’homme : la transfiguration. Au départ, l’imago est peu utilisée et le divin ne se représente que sous forme de symboles (poisson, agneau, croix…). A partir du 12ème siècle, elle va en revanche largement se diffuser pour accompagner le déploiement de l’Eglise catholique. L’homme devient alors un référent pour représenter le divin car l’Institution considère que le fidèle, par identification, peut plus facilement se rapprocher de son Seigneur. Après la Réforme, en réaction au protestantisme qui refuse l’imago, l’art religieux devient en France un art dominant. S’exprimant de multiples manières, il le restera jusqu’au début du XXème siècle. Et, après une période de rejet, il fera peu à peu son retour dans l’art contemporain dans les années 60. En revanche, à partir de cette période, les artistes, influencés par les sagesses orientales, ne l’aborderont plus sous l’angle de la religion, mais sous celui de la spiritualité et des mystères.

Le langage du sacré

Le langage du sacré, quelle que soit la tradition, est toujours de nature symbolique car, comme l’explique un de ses plus grands spécialistes, René Guénon, dans Symboles de la Science sacrée, « le langage, aux significations plus définies et plus arrêtées, pose toujours à l’entendement des bornes plus ou moins étroites () alors que le symbolisme ouvre des possibilités de conception véritablement illimitées () L’homme qui n’est pas de nature purement intellectuelle a besoin d’une base sensible pour s’élever vers les sphères supérieures ». C’est pourquoi l’image sacrée s’exprime de façon symbolique afin d’amener l’homme, selon une loi de corrélation, d’un objet connu à l’Idée inconnaissable.

Dès l’Antiquité, une œuvre sacrée peut donc se lire dans un sens multiple. Si les fidèles doivent facilement comprendre son sens exotérique, seuls les initiés disposent des clefs pour interpréter son sens ésotérique secret. A la suite d’Origène, Augustin définit ainsi au 13ème siècle les quatre sens de lecture possibles : un sens littéral pour instruire des faits qui se sont déroulés ; un sens allégorique pour ce qu’il faut croire ; un sens moral pour ce qu’il faut faire et un sens analogique mystique, pour apprendre ce vers quoi il faut tendre. Les imagiers du Moyen Age vont construire leurs œuvres en s’appuyant sur cette théorie. Mais, à partir de la Renaissance, cette connaissance tendra peu à peu à se perdre, les hommes n’appliquant aujourd’hui, pour la plupart, qu’une lecture exclusivement littérale aux œuvres sacrées.

Exemple de lecture d'une oeuvre d'art sacré à sens multiples - le vitrail du bon samaritain, Bourges (1210/1214) - SL
Exemple de lecture d’une oeuvre d’art sacré à sens multiples – le vitrail du bon samaritain, Bourges (1210/1214) – SL

 

Interpréter et comprendre le langage du sacré

Pour comprendre le sens caché des œuvres sacrées, il faut donc apprendre à les décoder. Mais ce n’est pas chose facile car, au cours des siècles, l’homme a développé de très nombreux langages symboliques à partir de ce qui lui était familier. Afin de protéger la Sagesse que ces images renfermaient, il a souvent volontairement refusé d’en livrer les clefs, ne les transmettant qu’à des membres du clergé ou à d’autres initiés. C’est pourquoi ceux qui l’abordent de façon raisonnée, le plus souvent, ne parviennent qu’à des interprétations, multiples et variées. Il existe pourtant une autre manière d’approcher de la Vérité, détenue dans l’image sacrée. C’est la voie de l’initié aux Mystères. R.A. Schwaller de Lubicz dans Propos sur ésotérisme et symbole, écrit que celui qui souhaite la saisir doit d’abord apprendre à cultiver l’intelligence du cœur, l’intuition véritable. Il la définit comme la « faculté d’entendre la voix du silence et de la traduire cérébralement ». Ce n’est pas un savoir mais un pouvoir. Cela ne s’explique pas et ne peut s’écrire clairement, c’est une question de niveau de conscience. Lorsque l’initié est prêt, quelle que soit l’imago, le symbole hermétique se dévoile. Plus rien alors ne demeure caché. Les philosophes du Sublime (Longin, Burke) dont beaucoup d’artistes contemporains s’inspirent dans leurs œuvres, nomment cette disposition particulière de l’être, « grandeur d’âme ».

Exemple de lecture exotérique et ésotérique d'une oeuvre : le portail de Notre Dame de Paris - SL
Exemple de lecture exotérique et ésotérique d’une oeuvre : le portail de Notre Dame de Paris – SL