De tous temps, l’or fut l’objet de la quête. Il consacre le Grand Œuvre alchimique. L’art qui opère avec le noble métal, aujourd’hui encore, s’en fait le témoin.

L’or, symbole royal du sacré

L’or fascine l’homme depuis toujours. Il demeure, aujourd’hui encore, le plus puissant symbole de richesse, de nature matérielle ou spirituelle. Pourtant, quelle que soit la tradition, l’or sacré ne s’envisage jamais tel un simple métal rare et précieux. Matière vivante et rayonnante, on le vénère car il peut manifester la puissance céleste : sa Parole et sa Lumière. L’or révèle la divine Sagesse ; elle se transmet aux hommes en lettres d’or, dans un livre d’or ou bien encore au cœur des pommes d’or de l’arbre de vie des mythologies grecque et celtique. L’or sacré atteste de même d’une divine et noble lignée. Les Rois Mages l’offrent à l’enfant Jésus à sa naissance ; Danaé, fécondée par une pluie d’or, engendre Persée, l’héroïque demi-dieu grec. Les mortels, jugés dignes de relier les mondes, se voient à leur tour couverts d’or : d’une toison (Jason et la toison d’Or), d’une auréole (les Saints bibliques), d’une couronne et d’une épée (les rois consacrés par l’Eglise)… Ces nobles cœur accomplissent alors la volonté des dieux ici-bas afin d’y maintenir un ordre moral (Le Roi Salomon, le Roi Arthur de la légende du Graal…) à l’image des entités célestes qui jugent les âmes au moment du passage des hommes dans l’au-delà  (le dieu des morts égyptien Anubis, l’archange Saint Michel…). L’or spirituel sépare le juste du mauvais, lui apportant la vie éternelle. Seul l’homme jugé pur accède à la radieuse Jérusalem céleste d’or pour vivre éternellement avec Dieu selon la Bible ; seul l’alchimiste véritable parvient à transformer sa vile matière en or parfait ; seul celui qui parvient à vaincre les forces des ténèbres selon le mythe solaire égyptien repose paré d’or dans sa chambre funéraire, y vivant éternellement dans la lumière du Dieu Rê.

Œuvrer avec l’or sacré

Métal le plus pur, l’or possède des propriétés physico-chimiques singulières : noble et stable, il est inaltérable. Par son éclat, il amène l’homme à ressentir les plus hautes vibrations de la lumière. C’est pourquoi, au cours des siècles, l’éprouvant par eux-mêmes, de grands artistes ont appris à travailler cette matière-lumière afin de manifester la divinité ou d’élever l’âme jusqu’au ciel. Dans toutes les traditions, l’or célèbre et met en lumière l’Absolu : il anime les imagos des dieux, les enluminures des livres saints comme tout ce qui sert au culte et aux rituels dans les temples. La statuaire égyptienne et précolombienne ou le fond céleste des icônes byzantines et ses mosaïques demeurent aujourd’hui encore parmi les exemples les plus aboutis de ce savoir.

Mais pour l’artiste qui pratique en ce sens, œuvrer avec l’or demande bien plus que de simples connaissances. C’est une science sacrée qui se transmet, d’après l’historien des religions Mircea Eliade, depuis les babyloniens et les égyptiens. Les métaux peuvent libérer des forces magiques aussi bien sacrées que démoniaques ; c’est pourquoi, très longtemps, seuls les prêtres furent autorisés à les utiliser pour créer des œuvres d’art à dimension sacrée. Comme l’auteur le rappelle dans Cosmologie et alchimie babyloniennes, « la métallurgie fut partout un art sacré parce que les métaux, qu’ils aient été envoyés du Ciel ou arrachés à la matrice souterraine, arrivaient toujours d’autre part ».

L’or entre sacré et profane

Au 19ème siècle, en dehors de toute référence à l’iconographie religieuse, certains artistes de l’Ecole de Vienne comme Gustav Klimt ou des symbolistes tels Gustave Moreau ou Frantisek Kupka tentent à leur tour d’imiter les grands maîtres du Moyen Age. Au 20ème siècle, alors que les modernes délaissent l’or, les contemporains redécouvrent ses propriétés et le replacent au cœur de leurs créations. Entre 1959 et 1962, Yves Klein produit une série de 50 monogolds et témoigne de son expérience de « l’illumination de la matière dans sa qualité physique ». Le célèbre théoricien de la couleur, Johannes Itten, écrit que si « la lumière peut sublimer la matière jusqu’au jaune d’or, d’un rayonnement insaisissable, dépourvu de transparence, aussi léger qu’une légère vibration (…) l’or représente la matière rayonnante la plus lumineuse ». En 1965, Joseph Beuys fait quant à lui référence à sa valeur initiatique. Dans une performance demeurée célèbre (Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort), le plasticien se recouvre la tête d’or, ce métal indiquant pour lui « une transformation de la conscience ». Dès lors, les artistes n’auront de cesse d’œuvrer avec l’or, jouant sur ses propriétés physiques comme Olga Del Amara ou sa puissance symbolique, afin de dénoncer l’or matériel vulgaire ou de se réapproprier l’or spirituel. Ils délaisseront par contre souvent l’approche traditionnelle intuitive au profit d’une autre, plus conceptuelle et raisonnée, privilégiant leur imagination afin de réinterpréter des formes éprouvées de l’art sacré. A titre d’exemples, on citera le bestiaire de Jan Favre (l’agneau ou la croix chrétienne, le scarabée égyptien), le trône sous la pyramide du Louvre de Kohei Nawa, les crucifix de Kendel Geers (A rose by any other name), les lieux consacrés d’élévation ou de passage de Mircea Cantor (Heaven and Hell simultaneaously), Huang Yong Ping (Golden Head) ou Wolfgang Laib (Voyage au bout de la vie, Ziggurat)…

La quête de l’or des sages

Si l’or fascine depuis toujours, c’est peut-être parce qu’il nous invite à nous ressouvenir afin d’agir. Objet de la quête, le précieux métal nous pousse à nous dépasser pour tenter d’en revenir à cet âge d’Or des mythologies grecque et romaine où les hommes vivaient, dans la joie et la paix, en unité avec les dieux. Ce vibrant désir, dans l’Ancien Testament, amène Saint Daniel, sur le conseil de l’ange, à « creuser la terre à la racine de l’arbre pour trouver l’or ». Jason part à l’aventure en vue d’acquérir la Toison d’Or, seule capable de lui rendre sa forme solaire et sa royauté. L’alchimiste réalise de multiples opérations dans l’espoir de transformer une vile matière en or le plus pur… Quelle que soit l’histoire, celui qui part à la conquête de l’or se transforme en chemin et retrouve au final le trésor véritable : l’or des sages. Dans toutes les croyances, les métaux changent la nature de l’homme, modifient ses conditions d’existence.  

L’alchimiste véritable, en cherchant à transmuter en or sa matière, aspire en fait à se parfaire lui-même afin de retrouver sa forme originelle parfaite. Au fil de ses opérations, son or se pare de mille noms : or exalté, multiplié, sublimé, vivifié, dénotant d’un état de sa matière, chaque fois, particulier. Celui qui œuvre avec les plantes – le spagyriste – aspire à parvenir au remède universel : l’eau d’or qui guérit tous les maux, l’or spirituel, l’élixir de vie. L’adepte qui suit la voie des métaux tente, quant à lui, de fabriquer la Pierre philosophale, l’Or qui redonne vie, l’Or vivant. Certains artistes contemporains s’inspirent de cette quête de l’or parfait dans leurs œuvres. James Lee Byars, en 1994, met sa mort et sa renaissance solaire en scène dans une performance restée célèbre (La mort de James Lee Byars) ; la photographe Kimiko Yoshida fait plus tard de même dans sa série d’autoportraits en lettres d’or (Dans le souvenir de James Lee Byars) ; Marc Quinn réalise son masque funéraire avec de l’or et son sang (Self), Yves Klein présente un portrait-relief bleu d’Arman renaissant d’un fond d’or… 

La quête de l’or : bénédiction ou malédiction

Tous les grands récits nous mettent en garde. La quête de l’or fascine mais elle n’est pas sans danger ; elle libère autant qu’elle peut enchaîner un peu plus. Si le précieux métal pousse l’homme à se dépasser, il attise de même tous ses désirs les plus profonds. Difficile de résister à la puissance de l’or, qui illumine autant qu’elle peut ensorceler, comme J.R.R. Tolkien nous le rappelle une fois encore dans Le Seigneur des anneaux. C’est pourquoi les anciens alchimistes avaient pris pour devise « prie et œuvre » afin d’opérer, le cœur sans cesse purifié, avec discernement. Dès le 17ème siècle, c’est ce pur désir qui fut la cause d’une nette scission entre les dénommés souffleurs, souvent charlatans, cherchant à fabriquer techniquement l’or clinquant pour s’enrichir et les disciples d’Hermès, œuvrant par des pratiques rituelles en vue d’accomplir l’Or parfait. De tous temps, la pureté et l’ascèse furent considérés comme des pré requis nécessaires à tout travail métallurgique sacré. La Bible, de même, nous l’enseigne. Il faut toujours choisir qui servir : le veau d’Or, le faux dieu, ou l’Esprit car, comme le comprit le roi grec Midas, qui acquit le pouvoir de transformer tout ce qu’il touchait en or, l’or matériel condamne à sa perte. A une époque qui affiche haut et fort son amour pour l’or clinquant, de nombreux plasticiens contemporains le perçoivent, nous amenant à nous questionner dans leurs œuvres sur la nature de notre désir pour l’or. Michel François nous place face à sa Golden Cage, Damien Hirst et Not Vidal au veau d’or, Marc Quinn à sa déesse contemporaine, la top model Kate Moss (Siren) alors que d’autres comme Gary Hill (Frustrum) et Thomas Lelu se jouent des mots… Gold bless you (Que l’or vous bénisse) !