De nombreux artistes contemporains s’inspirent aujourd’hui de l’alchimie, un art sacré. Qu’ils opèrent de façon consciente ou pas, ils en appellent à une symbolique puissante dont voici quelques clefs.

 

L’alchimie, un art sacré

Hermès Trismégiste, cathédrale de Sienne
Hermès Trismégiste, cathédrale de Sienne, 15ème siècle – wikipedia commons, domaine public

Il devient fréquent, depuis quelques années, de qualifier d’alchimiques des œuvres ou des expositions artistiques en référence à l’aspect mystérieux que ce mot fait en nous résonner. Pourtant, peu savent en fait de quoi il retourne vraiment. Si, pour la plupart, l’alchimie reste perçue comme une science chimérique permettant de transformer du plomb en or, rares sont ceux qui connaissent l’alchimie intérieure qui se pratiquait déjà dans l’Antiquité. Hermès Trismégiste l’aurait dévoilée le premier dans les écrits du Corpus Hermeticum, y définissant l’Art du Grand œuvre autant comme une physique qu’une métaphysique : une science de la balance.

Depuis toujours, les alchimistes tentent de mettre en pratique cet art sacré. Certains opèrent avec les plantes (la spagyrie) ; d’autres avec les métaux (l’alchimie). Les premiers aspirent à purifier la matière pour parvenir à sa quintessence afin de guérir tous les maux. Les seconds, en transformant leur matière et en interagissant avec elle, cherchent avant tout à s’ouvrir à une force qui les aidera à se transmuter. Beaucoup ont écrit sur le sujet et, quelle que soit la voie retenue par l’auteur, tous s’accordent sur un certain nombre d’opérations. L’alchimie occidentale parle de trois phases qu’il est coutume d’appeler œuvre au noir, œuvre au blanc et œuvre au rouge. Tous font aussi mention d’un agent tiers dépassant toute connaissance. Sans son intervention, rien ne peut s’accomplir. C’est pourquoi la devise de celui qui opère l’Art d’Hermès demeure ‘’ora & labora’’ : prie et œuvre.

L’alchimiste n’oppose pas la science aux mystères, ni l’homme à l’univers. Pour lui, tout est lié. Sa philosophie ne peut s’accomplir que par le feu, en observant la nature, dans un jeu continuel de dissolutions et de coagulations (solve & coagula). Il opère humblement, à partir de ce qu’il connaît, pour s’ouvrir à l’inconnaissable. Il poursuit ainsi, à sa manière, une quête initiatique que certains qualifient d’immortalité, d’autres de retour à l’unité. Son Grand œuvre débute toujours par une phase d’introspection et de purification qui l’amène à une phase de fortification et d’élévation. Peu à peu, il se prépare ainsi à la phase finale : celle de la fusion avec l’esprit. Alors ce qui n’était au départ que du plomb se fait or ; l’Artiste qui a dissout la matière et fixé l’esprit, renaît, immortel.

 

L’image alchimique

 

Le langage alchimique est de nature symbolique. Seul l’initié peut véritablement le comprendre. La littérature alchimique compte des dizaines de milliers d’ouvrages, pour la plupart des manuscrits rédigés en arabe, en grec ou en latin. L’image, peu exploitée dans l’alchimie gréco-alexandrine et arabe, commence à jouer un rôle important à partir de la fin du 14ème siècle. Elle se présente au départ sous la forme de miniatures énigmatiques et très colorées. Dès lors, l’image fait fonction non pas d’ornementation mais de support à la méditation pour aider le lecteur à percevoir le savoir. Au 17ème siècle, la forme change. Les auteurs font alors appel à des figures hiéroglyphiques et des emblèmes hermétiques pour transmettre les fruits de leurs opérations alchimiques comme de leurs expériences intérieures. Elles sont réalisées par les grands graveurs de l’époque tels Merian, De Hooghe, les De Bry… Ces images développent un langage propre qui fonctionne indépendamment du texte. Elles traduisent graphiquement des concepts complexes à la manière des égyptiens ou sous forme d’énigmes car, comme Hermès l’enseigne, la vérité doit rester voilée afin que chacun puisse chercher. Alors, selon lui, l’initié peut espérer accéder, par l’intuition, à la source de tout savoir : la connaissance révélée qui apparaît sous forme de vision ou de rêve. C’est pourquoi, celui qui approche ces images se trouve le plus souvent désemparé. D’autant plus que les auteurs, au fil des siècles, vont employer une multitude de termes et de symboles différents pour représenter les mêmes idées.

 

Interprétations contemporaines de l’alchimie

 

Carl Gustav Jung et sa collaboratrice Marie Louise von Franzau début du 20ème siècle, apportent de nouvelles clefs de lecture pour approcher ces images sacrées. A partir d’une étude approfondie de la littérature alchimique et d’une observation de nombreux patients, Jung développe sa théorie de l’inconscient collectif et démontre la présence d’archétypes primordiaux – une connaissance ancestrale inaccessible par le raisonnement. Il écrit dans Psychologie et alchimie que « les rapports entre ces deux formes – rêve et imagination active – du processus d’irrigation de la conscience par l’inconscient avec le monde de l’intuition alchimique sont si proches qu’on est fondé à admettre qu’il s’agit dans le procédé alchimique, des mêmes processus ou pour le moins de processus très voisins de ceux de l’imagination active et du rêve ». D’un livre à l’autre, il démontre ainsi l’existence d’une Sagesse universelle qui se transmet sous forme de langages symboliques imagés à travers les âges et les traditions. L’historien des religions Mircea Eliade dans Forgerons et alchimistes (1956) comme le mythologue Joseph Campbell dans Le héros aux 1001 visages (1949) développent cette même idée d’une expérience universelle du sacré, propre à l’Homme. Les recherches de Campbell l’amènent même à affirmer qu’il n’existe qu’un monomythe, le héros, quel que soit le récit, empruntant toujours un même parcours pour en revenir, avec l’aide d’un agent tiers, à la patrie originelle. De grands alchimistes semblent l’avoir compris bien avant eux. En Occident, ils n’hésitèrent pas à relier leurs propres représentations de la quête à d’autres références mythiques ou chrétiennes.

Ces pistes de réflexion nous amène à comprendre pourquoi l’alchimie influence aujourd’hui de nombreux artistes. Les symboles de l’Art font en nous résonner une Sagesse oubliée, prête à se raviver. Ils nous invitent à œuvrer, telles les figures héroïques, pour apprendre à nous connaître et accomplir notre destinée.