Depuis toujours, l’homme ne cesse de chercher ou de bâtir des sites porteurs de signes ou de forces célestes. Dans le monde chrétien, l’architecture sacrée, riche et variée, s’en fait le témoin.

Nature et fonctions de l’architecture sacrée

Dans la plupart des traditions, il existe deux types d’architecture sacrée. Des lieux naturels dont l’homme a ressenti à un moment donné la nature sacrée (grottes, montagnes, sources, arbres…) et des lieux bâtis par lui qu’un ou des membres de la communauté, reconnus comme autorités spirituelles, consacrent (rendent sacré en les dédiant à Dieu). Parfois, les deux se confondent, par exemple, lorsqu’une communauté religieuse érige un lieu de culte sur un site naturel qu’elle reconnaît déjà comme sacré ( ex : l’Eglise du Saint Sépulcre à Jérusalem, les sanctuaires de Fatima, de Lourdes…). Il arrive également souvent qu’une communauté religieuse se réapproprie un site consacré par d’autres, pour sa force ( ex : Sainte Sophie à Constantinople, basilique chrétienne puis mosquée ; le Panthéon, temple païen dédié par la suite à la Vierge ; le Dôme du Rocher, mosquée construite sur un site naturel sacré et ancien temple juif de Salomon…).

Traditionnellement, une demeure sacrée rend visible sa spiritualité. Le temple, qu’il soit hindou, égyptien, juif, chrétien ou musulman se conçoit toujours selon un canon respectant le dogme. L’édifice se doit d’assurer un certain nombre de fonctions, les principales demeurant la pratique du culte et l’enseignement religieux. Créant un espace-temps qui sépare le monde profane du monde sacré, le bâtiment officie comme une maison d’habitation pour le dieu (ex : tabernacle) et/ou un lieu où la communauté des croyants se rassemble pour le louer (ex : synagogue). Lorsqu’hommes et dieux ‘’cohabitent‘’ (ex : temples, églises), l’espace se scinde alors entre parties, seuls les ministres du culte pouvant accéder à celle considérée comme la plus sacrée (dénommée le Saint des saints, le sanctuaire…). La forme matérielle n’est pas figée. Dans le christianisme, elle ne cesse d’évoluer afin de répondre aux besoins de l’Eglise comme aux contraintes fixées par le lieu et l’époque.   

Architecture chrétienne des premiers siècles

Si la première maison de Dieu citée dans la Bible hébraïque, le tabernacle qui abrite l’Arche d’Alliance, est une tente, c’est pour accompagner les hébreux dans l’Exode hors d’Egypte. Pour les peuples nomades, l’autel existe avant le temple ; le sanctuaire mobile qui le contient se délimite à partir de rites. La construction d’un édifice sacré bâti marque en général le passage d’un peuple à la sédentarisation, comme par exemple, à Jérusalem, le premier temple de Salomon, au 10ème siècle avant J.-C. Les premiers édifices chrétiens sont des sanctuaires creusés, au cœur de montagnes rocheuses ou de cavernes souterraines. Il faut attendre le règne de Constantin, l’empereur romain qui se convertit au christianisme vers 312, pour que l’on commence à ériger des églises, au départ sur le modèle de la basilique romaine. Le style byzantin des églises d’Orient trouve sa forme propre au 6ème siècle (la grande Sainte Sophie), sa principale caractéristique demeurant l’immense coupole centrale.

L’évangélisation, c’est à dire la conversion au christianisme, débute en Occident, sous l’Empire romain, au 4ème siècle. Longtemps, les chrétiens pratiquent leur culte dans des lieux souterrains de sépulture (les chapelles cémétériales ou les martyriums – des tombes saintes de martyrs). Du 4ème au 9ème siècles, les communautés d’ermites prospèrent, inspirées par l’expérience de Saint Antoine, le premier grand ermite du désert en Egypte. Les hommes vouant leur vie à Dieu se regroupent dans des lieux à l’écart, au sein d’ermitages creusés ou de monastères bâtis. De nombreux ordres monastiques voient le jour ; gagnant en puissance au fil des siècles, ils bâtissent les premières grandes églises de pierres d’Occident : les églises abbatiales.  

L’architecture sacrée, pierre angulaire de l’Eglise d’Occident 

Eglise vient du mot grec Ecclésia qui s’entend dans des sens multiples. A l’origine, c’est une communauté de disciples du Christ qui se réunit pour la prière et l’enseignement ; on l’associe, par la suite, à la communauté des baptisés, l’ensemble des chrétiens. Mais elle désigne également l’édifice matériel qui rassemble les fidèles.

Au 11ème siècle, on assiste à la séparation des Eglises d’Orient et d’Occident. L’Eglise d’Occident octroie alors à l’édifice une place considérable. Recevant le baptême, sacralisée, l’église matérielle devient l’incarnation de l’Eglise spirituelle. L’Eglise invisible, traditionnellement représentée par de saintes figures (une femme recueillant le sang du Christ, l’épouse du Christ dans le Cantique des Cantiques, la mère Mater Ecclésia…), se voit en conséquence peu à peu remplacée symboliquement par un bâtiment. Reposant sur l’évangile de Pierre qui énonce « Moi, je te dis tu es pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon église », l’Eglise d’Occident utilise les édifices religieux pour mettre en place son institution cléricale et asseoir son pouvoir d’intercesseur entre l’homme et Dieu. L’ère des grands bâtisseurs de cathédrales débute alors. Elle durera jusqu’au 13ème siècle. Un premier style architectural se développe en Allemagne et en France dès le début du 10ème siècle. On le nommera plus tard le roman, reconnaissable à son style dépouillé, aux plans dits centrés ou basilicaux et à la voûte en berceau. Dès le 12ème siècle, on commence à lui préférer une esthétique plus complexe et précieuse, le gothique, considéré aujourd’hui encore comme le style par excellence de l’Eglise chrétienne d’Occident. L’architecture gothique qui se développe au départ en France et en Angleterre conquiert toute l’Europe, puis les empires coloniaux jusqu’au début du 20ème siècle. Cet art, de par sa verticalité, la richesse de son ornementation et ses ouvertures faisant place à la lumière transformée par les couleurs de grands vitraux, sollicite les sens. Il cherche à susciter un élan volontaire de l’homme vers Dieu alors que l’art roman,  par la simplicité de la forme, tentait au contraire de l’amener à un état de calme intérieur pour contempler l’Absolu. 

Au 17ème siècle, l’Eglise d’Occident se réforme de nouveau ; elle se sépare entre catholiques et orthodoxes. Pour marquer ses différences théologiques, l’architecture orthodoxe cherche alors à tendre vers le dépouillement, refusant toute image qui représente le surnaturel et sollicite les sens. L’Eglise catholique, en réaction, se lance dans une surenchère formelle et passionnelle. Un nouveau style accompagnant la Contre-Réforme voit le jour en Italie : le baroque. Ornements et bâtis se lient pour renforcer l’effet théâtral visant à amener le fidèle au sein de splendeurs célestes fantasmées par l’imaginaire. Le baroque s’exporte en Europe jusqu’au siècle suivant. Il règne en maître dans les édifices religieux des colonies espagnoles et portugaises d’Amérique Latine, encore au 19ème siècle. Par la suite, les mouvements artistiques ne sont plus si intimement liés à l’expression de la doctrine. Les architectes réinterprètent souvent librement les styles traditionnels. Ils donnent naissance à des genres hybrides qui témoignent  néanmoins toujours, soit d’un déterminisme rationnel (le néo-classicisme épuré du 18ème et 19ème siècles), soit d’une imagination passionnelle (le néo-gothique dominant le 19ème siècle, réinventé par le célèbre Viollet-le-Duc).

L’architecture catholique moderne : des visions plurielles au service de la communauté

Au 20ème siècle, avec la montée en puissance du matérialisme dans les sociétés occidentales, l’Eglise catholique est amenée à repenser ses lieux sacrés. Comme au début du Moyen Age, l’architecture se fait le témoin de la division qui règne au sein de l’Institution cléricale. A savoir : l’édifice religieux est il une pièce centrale de l’Eglise, l’art glorifiant Dieu, ou l’Eglise est elle avant tout la communauté de ses fidèles, tout lieu pouvant servir le culte ? Pour les nouvelles églises bâties, le choix se porte sur la communauté. Les membres du Clergé, traditionnellement à part, se fondent dès lors avec les fidèles pour co-célébrer l’Eucharistie sur l’autel (le sacrifice de Jésus-Christ). Les plans traditionnels laissent placent à des espaces ouverts, le lieu de culte assurant de nouvelles fonctions pour sa communauté. L’espace sacré dédié à Dieu devient aussi espace de vie ; il accueille en son sein le monde profane lors d’expositions, de spectacles…

En conséquence, l’approche architecturale traditionnelle, garante d’une unité stylistique impersonnelle, laisse place à l’expérimentation de nouveaux modèles. L’édifice religieux se fait le reflet de visions plurielles et singulières selon le lieu. L’architecte retenu impose son style personnel, souvent à partir d’une recherche essentiellement formelle, rendue possible par l’utilisation de nouveaux matériaux comme le béton (ex : l’église Notre Dame de la Consolation du Raincy de Perret, l’église monumentale Notre Dame de Royan par Gilet, la cathédrale Sainte Marie à Tokyo de Tange…). L’architecture sacrée du XXème siècle réinterprète de multiples formes symboliques, renonçant aux couleurs au profit du blanc ou de matériaux bruts. Parmi les projets les plus marquants, on citera : l’église Ste Jeanne d’Arc de Drot en forme ovoïdale, la basilique souterraine Saint Pie de Lourdes de Pinsard et Le Donné ou l’église St Francois de Molitor de Callies et Duthilleul en ellipse, la chapelle de Ronchamp en crabe du Corbusier, l’église Ste Bernadette du Banlay à Nevers en forme de grotte de Parant et Virilio, la Cathédrale de cristal à Los Angeles de Johnson ou celle à Brasilia en forme de couronne d’épines de Niemeyer, la cathédrale de la Résurrection d’Evry en forme de colonne tronquée, l’église du Jubilé en forme de voiles  …

Principes de l’architecture sacrée

Si l’expérience spirituelle est affaire de ressenti, pour que la magie d’un lieu opère, il faut bien plus que de la pierre.  C’est pourquoi, dans les grandes civilisations qui nous ont précédées, l’architecture sacrée confère à l’édifice certains pouvoirs. Considéré comme un corps vivant, le bâtiment possède une structure permettant de recevoir et faire circuler des énergies afin que la communauté puisse, à son tour, en bénéficier. Depuis la nuit des temps, afin d’ y parvenir, l’architecture sacrée s’appuie sur des principes connus et rigoureusement mis en pratique (ex: le respect de l’harmonie qui régit toute la Création, la relation de l’édifice avec la lumière et le cosmos…). Titus Burckhardt dans Principes et méthodes de l’art sacré nous l’explique ainsi : « pour qu’une œuvre d’art ait une portée spirituelle, point n’est besoin qu’elle soit géniale ; l’authenticité de l’art sacré est garantie par ses prototypes (…) La tradition, en transmettant les modèles sacrés et les règles de travail, garantit la validité spirituelle des formes : elle possède une force secrète qui se communique à toute une civilisation (…) Cette force créé le style qu’on ne saurait imiter du dehors. Il se perpétue sans peine par la seule puissance de l’esprit qui l’anime ». Ce que confirme à son tour le grand égyptologue R.A. Schwaller de Lubicz en affirmant que l’architecture sacrée, pour les anciens, repose sur le symbolisme (au sens de l’incarnation d’un Principe divin vivant ) et l’intuition (une connaissance révélée métaphysique) qui guide les actes des maîtres bâtisseurs et des artisans.

Architecture sacrée, reliée au cosmos

Le temple a donc pour vocation de relier notre monde au monde céleste. Dans Symbolisme de la Science sacrée, René Guénon nous rappelle qu’il le fait, traditionnellement, selon un axe vertical qui manifeste en un point la présence du dieu sur Terre.  A l’image de l’arbre de vie que l’on retrouve dans de nombreuses traditions, ces deux éléments incarnent toujours le centre et l’axe du monde ; ce que Mircea Eliade appelle  le « symbolisme du centre ». Le plan de la demeure sacrée se définit en conséquence souvent selon un rite à partir d’un point autour duquel on trace un cercle qui délimite le champ d’action du Principe en ce monde, puis d’autres, jusqu’à obtenir la quadrature du cycle solaire : le carré fondamental sur lequel repose la construction. Ce carré (symbole terrestre) s’inscrivant dans le cercle (symbole céleste) rappelle de même à l’homme que notre terre dépend du ciel. Selon les pères de l’Eglise, la Jérusalem céleste est le modèle du temple chrétien. Son plan suit ce prototype originel : l’enceinte repose sur 12 piliers qui forment un carré au centre duquel se tient l’agneau (symbole du Christ) sur l’autel ; il fixe en ce monde le point et l’axe. D’autres grands principes attestent de la dimension cosmique d’un temple, comme par exemple, un dôme ou une coupole circulaire surmontant une base carrée (ex : le stûpa bouddhique, l’église byzantine) ou encore, une orientation de l’édifice s’alignant avec le ciel pour bénéficier de l’influence solaire (ex : l’église chrétienne dont la tête regarde l’Orient, le soleil naissant).

Architecture sacrée, à l’image de l’homme

Si, dans de nombreuses traditions, selon des lois de corrélation qui régissent harmonieusement toute la Création, le symbolisme du temple repose sur une analogie avec l’univers (le macrocosme), il se définit également souvent par analogie avec l’homme (le microcosme). Dans ce cas, l’édifice s’y réfère par son plan ou ses proportions dans l’espace, rappelant ainsi au fidèle que, l’homme étant le temple de Dieu, le temple se bâtit à son image (ex : la structure à l’image de l’homme et du cosmos du palais bouddhiste du Mandala de Kalachakra, l’église chrétienne en croix latine, la voûte circulaire à l’image de la calotte crânienne…). Au 13ème siècle, l’Evêque Guillaume Durand de Mende, dans son Manuel pour comprendre la signification symbolique des cathédrales et des églises, explique ainsi celle du plan en croix : « L’église matérielle représente la forme du corps humain car le lieu où est l’autel représente la tête, et la croix de l’une et l’autre partie, les bras et les mains ; enfin l’autre partie qui s’étend depuis l’Occident, tout le reste du corps (…). L’homme est le temple de Dieu s’il possède au dedans de lui même un autel, l’autel étant le cœur dans lequel nous devons offrir et sacrifier à Dieu ».La structure du temple, plus qu’un simple reflet du corps humain, tend donc à enseigner au fidèle la voie à suivre, par analogie avec celle suivie par le dieu ou dans le corps (ex : le plan en croix à l’image du Christ qui se sacrifie sur l’autel pour renaître immortel, le corps subtil du Vâstu Purusha figuré par un homme face contre terre dans le carré du temple hindou qui manifeste à la fois la présence de l’Etre cosmique sur lequel repose le temple et un plan de reconstruction du corps pour l’homme…). Dans certains cas, l’édifice remplit une fonction de haut enseignement initiatique. Conçue telle une matrice de transformation alchimique, la structure s’organise alors afin d’apporter à l’initié les moyens pour retrouver sa forme originelle sacrée. Ce que R.A. Schwaller de Lubicz dans son étude du temple égyptien de Louxor a brillamment démontré (Le temple dans l’Homme). A toutes les périodes de l’Histoire, des hommes tenteront de bâtir des temples dédiés à ce saint travail.  

Architectures sacrées du 21ème siècle 

A l’aube du 21ème siècle, au cœur d’un monde individualiste et matérialiste ayant oublié depuis longtemps déjà la Science sacrée des anciens, sur quelles bases alors construire des lieux sacrés ? Difficile encore de répondre à la question, même si ces dernières années, on assiste à l’émergence d’une approche moins rationnelle et fonctionnelle de l’architecture sacrée. Un retournement dont atteste, par exemple, l’architecte Siamak Hariri avec son temple Baha’i d’Amérique Latine. Les projets qui se démarquent aujourd’hui témoignent d’un profond désir de retour à l’intériorité dans la simplicité. Animées par la lumière, reliées au monde naturel comme à l’infini, les demeures sacrées du 21ème siècle semblent poursuivre une même quête ; celle déjà amorcée dans les années 70 avec des projets comme le Matrimandir d’Auroville de Roger Anger ou le Roden Crater de l’artiste James Turell : nous faire vivre, sans intermédiaire ni enseignement, face à la lumière, une expérience intérieure spirituelle, vibrante, en perpétuel mouvement.