L’animal occupe depuis toujours une place de choix dans l’art magique et l’art sacré. Aujourd’hui encore, de nombreux artistes contemporains l’utilisent pour sa puissante symbolique ou ses pouvoirs magiques.

L’animal et la magie en Occident

En Occident, l’animal a aujourd’hui perdu tout caractère magique ou sacré. Pourtant, pendant des millénaires, il inspire à la fois admiration et peurs profondes aux peuples qui vivent quotidiennement à son contact. Les hommes croient encore en des forces et des esprits surnaturels agissant sur la nature. Ils reconnaissent très tôt à certaines bêtes des pouvoirs de guérison ou de protection qu’ils utilisent pour des pratiques magico-religieuses. Dans l’Antiquité, on trouve en effet trace de cultes de la nature ou de fertilité qui impliquent souvent un sacrifice animal (cultes de Mithra, de Dionysos…). Les prêtres magiciens en Egypte et en Grèce, les druides celtiques ou les sorciers utilisent, de même, diverses bêtes. Mais si les mages et les devins-guérisseurs œuvrent afin de maintenir l’harmonie entre l’Homme et le Monde sacré (transcendant ou immanent), les sorciers n’hésitent quant à eux pas à la rompre pour tirer de ces forces un profit personnel.

En France, l’Eglise, jusqu’au 14ème siècle, reste relativement tolérante vis à vis des pratiques de magie naturelle, héritées de croyances païennes préchrétiennes. Mais, en 1326, le Pape déclare la sorcellerie contraire au dogme. Jugée hérétique, elle témoigne dès lors d’un pacte avec le diable. A partir de cette date, l’Inquisition s’attaque violemment à tous ceux qui la pratiquent. L’art documente la chasse aux sorcières qui débute et s’achève quatre siècles plus tard. Cette figure de femme puissante et maléfique inspire de nombreux artistes (Albrecht Dürer, Albrecht Altdorfer, Hans Baldung, William Blake, Goya…). Au 17ème siècle, face à l’essor de croyances et pratiques issues du cabalisme, de l’hermétisme, de l’alchimie et de l’astrologie, l’Eglise diabolise et condamne toute forme de magie – sans distinction. Elle ne parvient néanmoins jamais à éradiquer ces pratiques qui entrent, de nouveau, dans le secret. La magie naturelle, en particulier dans le monde rural, se pratique de même encore couramment jusqu’au siècle passé.

Pratiques animales magico-religieuses dans le monde

Depuis toujours, l’homme recourt aux animaux pour des pratiques magico-religieuses. Selon les traditions, il les utilise de multiples façons : rites de passage, sorcellerie, divination déductive par étude du comportement de l’animal ou lecture de ses entrailles et de ses os (cultures mésopotamienne, étrusque ou romaine), divination naturelle à partir de ce que sa présence révèle dans les rêves (chamanisme). Le sacrifice animal à des fins thérapeutiques après divination demeure encore fréquent de nos jours (cultures africaines). L’animal joue, de même, un rôle important dans le déroulement de pratiques collectives religieuses tels les rites sacrificiels d’offrande et de purification ou les danses et les transes pour entrer en relation avec les forces ou les esprits de la nature (shintoïsme, chamanisme…). Il arrive également que des animaux soient aussi sacralisés et vénérés de leur vivant parce que l’on considère qu’ils incarnent des puissances supérieures (le chat ou l’ibis en Egypte antique, la vache en Inde…).

Longtemps méconnues en Occident, ces pratiques proches de la nature semblent depuis quelques années susciter un vif intérêt. L’art accompagne le changement de regard qui s’opère comme en atteste le nombre croissant d’expositions et de films récents sur le thème. On citera pour l’exemple sur le chamanisme : Le chant de la forêt de Renée Nader Messora, L’étreinte du serpent de Ciro Guerra, Blueberrry, D’autres mondes et Ayahuasca (Kosmic Journey) de Jan Kounen ou, sur les cultes de la nature néopaganistes, Midsommar d’Ari Aste.

Figures animales dans l’art magique et l’art sacré

La représentation animalière se décline elle aussi de diverses manières, selon les époques et les traditions. Pourtant, quelques grandes figures archétypales semblent traverser toute l’histoire de l’art magique ou sacré.

L’animal, emblème de la divinité

Le dieu est alors représenté sous une forme animale (ou composite : moitié humain – moitié animal). La figuration d’un ou de plusieurs animaux exprime symboliquement leurs qualités ou caractéristiques propres qui sont aussi celles attribuées à la divinité. Ils aident à comprendre la fonction qui est la sienne, un dieu pouvant prendre plusieurs formes différentes (ex : Thot, babouin ou Ibis ou homme-ibis en Egypte antique). L’emblème peut aussi manifester son intervention dans ce monde (ex : la colombe, symbole de l’Esprit Saint dans des scènes bibliques). Lorsque l’animal se présente sous une forme hybride ou mythique (mélange de plusieurs animaux, animaux fantastiques), il synthétise davantage des puissances ou principes métaphysiques énigmatiques (ex : les 4 animaux du tétramorphe biblique pour le Christ et son message évangélique porté par les 4 apôtres ; le phénix comme principe initiatique de la métamorphose de l’homme par un feu sacré…)  

L’animal, esprit de la nature

La représentation dépeint dans ce cas un animal invisible – un esprit de la nature qui agit sur le monde tangible. Il peut guider, protéger, voire même aider à guérir. De nombreux peuples vénèrent et nourrissent ces esprits surnaturels lors de pratiques rituelles pour obtenir leurs faveurs ou calmer leur colère (shintoïsme, bouddhisme, religions traditionnelles africaines…) ; afin de connaître leurs volontés ou de négocier avec eux (chamanisme…). Dans plusieurs traditions, l’homme parvient à ‘’voir’’ et communiquer avec ces esprits en rêve ou par une pratique rituelle amenant à un état de conscience modifiée. La peinture visionnaire qui cherche à traduire cette expérience des mondes invisibles représente souvent ces esprits animaux (en particulier celle de chamanes ou de peintres aborigènes). Depuis l’aube de l’humanité, des hommes tentent également d’acquérir leurs pouvoirs en utilisant des masques à figure animale et/ou des parures constituées à base de bêtes (peaux, dents, griffes…) utilisés lors de cérémonies. Partout dans le monde, des objets d’arts premiers témoignent de la richesse comme de la variété de ces pratiques magico-religieuses.

L’animal totem ou tutélaire

Il s’agit de la représentation d’un animal, choisi individuellement ou hérité d’une lignée, dans lequel l’homme se reconnaît. Selon les traditions, il le prend pour emblème ou s’y lie. En Occident, l’art héraldique le consacre à partir du 12ème siècle. L’animal emblème présente symboliquement des vertus reconnues à l’espèce, défendues par le noble qui le porte ou par sa famille. Dans certaines cultures primitives, l’animal totem collectif incarne l’ancêtre mythique du clan. On le célèbre comme une divinité car il scelle l’unité entre tous les hommes du clan et le monde naturel. Il se présente, le plus souvent, sous la forme d’un tronc sculpté vertical. Les sculptures totémiques aborigènes et amérindiennes demeurent les plus connues, même si l’on retrouve cette même tradition chez d’autres peuples d’Afrique et d’Europe. Un homme peut également parfois lier individuellement son destin à celui d’un animal avec lequel il communique en songes. Cet esprit gardien l’aide et le protège mais, en général, si l’un meurt, l’autre aussi. Dans l’art mésoaméricain, les figures hybrides de naguals témoignent, par exemple, de cette relation entre un homme et un animal.

Le monstre

Très présent dans l’art, il incarne une figure maléfique à des fins morales et religieuses en jouant sur la peur qu’inspire l’animalité : celle de perdre son identité  humaine. Au Moyen Age, l’Eglise catholique entretient, au travers une abondante production artistique, cette crainte qui condamne le damné aux enfers après sa mort. Celui qui se laisse tenter ou s’accouple à l’animal, forme manifestée du Diable, perd son âme comme le film La sorcière de Robert Eggers nous le rappelle, une fois encore, en 2015. De nombreuses traditions représentent les habitants des enfers comme des monstres (diables, dieux des enfers, démons…). La peur de se transformer en animal se retrouve dans toute la tradition occidentale, de la littérature mythologique à la culture fantastique (L’Odyssée d’Homère, L’âne d’or d’Apulée, La métamorphose de Kafka…). Le cinéma l’a abondamment exploitée, en particulier au travers du thème du vampire ou du loup-garou (Dracula, Van Helsing, Wolfman, La Mouche…).  

Symbolique animale : bestiaire sacré

L’imago, dans l’art sacré ou magico-religieux, est chargée de forces ou d’idées. Comme l’exprime Stéphane Mallarmé, « c’est l’inconnu qu’on cherche à exprimer qui constitue le symbole ; l’image est initiation ». Elle permet au croyant de donner sens aux grands mystères de l’existence et d’approcher les mondes invisibles. Une tradition définit un groupe d’animaux et de plantes à qui elle attribue une signification symbolique, protectrice ou moralisante ; en général, par analogie, à partir d’observations de son environnement naturel. Elle fixe ainsi un référentiel commun pour sa communauté, ce que la littérature médiévale qualifie de bestiaire. L’art chrétien développe son bestiaire, dès l’origine, dans le respect de la discipline du secret, pour protéger la Parole du Sauveur autant que le fidèle. On le retrouve dans l’architecture, la peinture, la sculpture, les enluminures de livres sacrés ou les objets de culte. Comme l’explique Louis Charbonneau-Lassay dans Le Bestiaire du Christ, au même titre que d’autres traditions, sa symbolique animale puise a de multiples sources : des religions très anciennes, des textes bibliques, des écrits naturalistes célèbres comme Le Physiologos ou des bestiaires médiévaux inspirés par les mythes et les récits de grands voyageurs tel Le livre des merveilles du Monde. En Occident, les alchimistes – des philosophes dialoguant sans cesse avec la nature, utilisent eux aussi fréquemment la symbolique animale pour transmettre, par l’image, leur savoir.

A partir du siècle des Lumières, la pensée rationaliste scientifique ôte tout caractère sacré à l’animal. Dans l’art, sa représentation perd, dès lors, tout sens symbolique ; elle devient naturaliste. Seuls les fables et les contes accordent encore à l’animal miroir un rôle de guide initiatique (Les aventures d’Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll, Le petit Prince de St Exupéry) ou de porteur d’une sagesse populaire permettant à l’homme de mieux se connaître (Les contes de Perrault, Les fables de La Fontaine…). Au 20ème siècle, la bande dessinée et les films d’animation américains redéfinissent un imaginaire animalier collectif, coupé de toute réalité. Ils transforment une fois encore le regard que porte l’homme urbanisé sur l’animal. Humanisé, infantilisé, idéalisé, ce dernier perd peu à peu sa bestialité et sa sagesse. Seule, la figure du monstre, souvent exploitée dans le cinéma fantastique, ravive encore nos peurs archaïques même si la bête improbable ne délivre plus vraiment de message (l’extra-terrestre Alien, le reptile mutant Godzilla, les dinosaures clonés de Jurassic Park, les créatures étranges – les kaijus de Pacific Rims…).

L’animal magico-religieux dans l’art contemporain

Les bêtes occupent également une place de choix dans l’art contemporain. Ils y servent souvent des intentions philosophiques ou magico-religieuses. Pour nous faire partager ses idées ou ses croyances, l’artiste n’hésite pas à nous confronter à l’animal : à la réalité de sa chair, à sa puissance symbolique ou à son pouvoir magique. Parfois même, avec Pierre Huygue ou Huang Yong Ping, à sa présence physique au sein de l’œuvre ou de l’exposition.

A partir des années 70, de nombreux plasticiens détournent les rites cultuels puis l’iconographie religieuse et mythique en utilisant l’animal comme matière première. Taxidermisé, dépecé, écorché ou encore plongé dans le formol, la bête agit alors tel un agent provocateur à portée symbolique, souvent très suggestive. On citera, par exemple, les performances sacrificielles rituelles sanglantes d’Hermann Nitsch ou de Marina Abramovic (Cleaning the Mirror), les sculptures de Damien Hirst (Dieu seul sait, Dieu seul sait pourquoi, Les disciples…) ou de Jan Fabre (Croix avec serpent, Scarabée sacré…), les installations de Huang Yong Ping (Théâtre du monde, Intestin du Buddha, Arche de Noé…). D’autres artistes tentent, au contraire, de dénoncer cette récupération de l’animal comme des traditions de peuples premiers. C’est le cas de Joseph Beuys en 1974 avec sa performance I like America and America likes me ou de plasticiens comme John Feodorov (Oracle, Temple), Jack et Dinos Chapman (The Chapman familly collection), Mark Dion (Killers killed, cabinets de curiosité), Brian Jungen (Masks, Prototypes for a new understanding)…

Les figures animales archétypales fascinent elles aussi les artistes contemporains. La créature hybride et fantastique nourrit l’imaginaire de très nombreux plasticiens tels Matthew Barney (Drawing restraint 7), Kiki Smith (Harpie), Daisy Youngblood (Tied Goat), Thomas Grunfeld (Misfits), Kate Clark, Claire Morgan, Sarina Brewer (L’ivoire griffin), Julien Salaud, Joan Fontcuberta (Fauna), Lionel Sabatté (Sombre réparation…), Théo Mercier (Desperanza), Qiu Zhijie (Map of mythology)…

Alors que, depuis quelques années, l’on redécouvre les cultes primitifs, certains plasticiens se réapproprient de même les masques rituels et les sculptures totémiques. Si, au début du 20ème siècle, les cubistes s’inspirent déjà de l’art africain pour définir un vocabulaire formel, il semble que, de nos jours, les créateurs tentent avant tout de saisir les forces qui traversent ces formes. Comme Kendell Geers le souligne pour sa série Masking tradition, il faut ramener l’art à son rôle ancestral d’intercesseur entre les mondes. Ce dont témoigne des œuvres de nombreux artistes comme Benoit Huot (Rites), Jamie Cameron (Smiling disease), Rina Banerjee, Annette Messager (Les masques, Le retour d’âge des répliquants…), Till Gerhard (Father ergot, Norwegian wood) ou de travaux documentaires de photographes comme Charles Fréger (Wilder mann). On assiste également à un renouveau de l’art visionnaire, en particulier à celui propre au chamanisme. Si certains artistes comme Pablo Amaringo ou Martina Hoffman inscrivent leur travail dans le respect de la tradition, d’autres cherchent, en parallèle, à redéfinir un langage formel. A titre d’exemples, on mentionnera les travaux de Charley Case (Cosmic Lodge), Jean Luc Favéro (Cerf transfiguré), Myriam Mechita (Astralis) ou David Gumps (Echo nature).

Jacob von Uexküll, dans Mondes animaux et mondes humains, insiste sur le fait que « nous nous fourvoierons toujours si nous jugeons les mondes animaux en leur appliquant les critères de notre monde propre. » L’art, magique ou sacré, connaît cette loi. Depuis toujours, l’animal nous y place face à une autre réalité. Symbole ou matière de l’œuvre, il nous enseigne et nous relie.